Le soleil était sur le point de disparaitre. Comme tous les soirs à la cour de Telmar, après le dîner du Roi, il y avait des festivités. Il fût un temps où j’y allais tous les soirs. Etait-ce pour l’ambiance ou bien pour passer du temps avec celui que j’aimais ? Vous comme moi connaissez la réponse. Or depuis son retour – car ce jeune homme était bel et bien Edwin Petterson – je n’avais plus jamais remis les pieds à une de ces fêtes. Je n’avais pas la foi et craignais surtout d’être confrontée à lui.

Il m’avait en effet demandée en mariage quelques mois auparavant, autrement dit la veille de son départ pour les îles. Je ne lui avais pas répondu immédiatement cependant. A vrai dire, nous étions à l’époque meilleurs amis et j’étais loin de me douter qu’il allait un jour me demander ma main ! Peut-être que si je lui avais donné une réponse positive dès cet instant-là tout serait différent à l’heure actuelle ? Je ne savais plus quoi penser à vrai dire. Je me sentais trahie, humiliée. Lorsqu’Edwin était revenu des îles, il avait été très fortement ému voire bousculé par l’exil de son meilleur ami Yoren et de ce fait avait terriblement changé. Je ne savais plus où était le Edwin jovial et tendre que j’avais décidé d’épouser. C’est comme si un masque de haine et de colère cachait sa véritable nature. Au début j’avais pensé que tout cela s’arrangerait avec le temps mais je me leurrais ! Edwin ne m’adressait plus la parole, il était tout le temps absent, à réfléchir à un plan pour venir en aide à son ami. Il avait même reçu la visite d’un certain Tarkhaan de Calormen, Riwal Toshkaan, et s’apprêter à sceller un pacte avec lui. Son caractère se dégrada à partir du moment où il l’avait rencontré. Cet homme là était pire que l’ancien Tisroc dans le sens où lui, n’avait aucun principe. J’avais une fois tenté de raisonner celui que j’aimais mais il ne m’avait pas écouté ou pire, il m’avait fait entendre qu’il m’était impossible de le comprendre parce que je n’avais jamais été dans ce type de situation, que je n’avais jamais porté autant d’amour à quelqu’un pour vouloir à ce point le venger. Ces propos sont peut être déformés mais je l’avais compris de cette façon ! J’avais été déçue, assommée… C’était comme si toutes mes espérances s’envolaient. Peut-être de manière impulsive, j’avais pris la décision de rompre nos fiançailles, ne voulant pas être soumise au silence conjugal. Edwin avait été précieux pour moi et j’avais l’impression que depuis sa demande en mariage, plus rien n’était pareil. Pour dire la vérité, cette décision m’avait été difficile à prendre mais semblait cependant être la plus sage. Nous avions jusqu’à présent partagé le lien de « meilleurs amis » et non celui « d’amants ». J’avais longtemps hésité avant de lui annoncer cela mais au fond était convaincue qu’il n’y avait rien de mieux à faire. Mon grand frère Matt avait lui aussi été de cet avis, à partir du moment où je lui avais annoncé qu’Edwin m’avait demandé d’être son épouse. Pour dire vrai, mon frère avait toujours eu une dent contre lui. La raison ? Je n’en savais trop rien et savais la plaie trop profonde pour ne pas l’envenimer en lui posant des questions. J’avais cependant une petite idée, pour moi il s’agissait de jalousie et d’amertume. La famille Andrews était parente avec Caspian et peut-être avait-il imaginé avoir des droits sur le trône de Telmar ? Quoi qu’il en était, j’aimais Matt plus que tout au monde, sans doute plus qu’Edwin et je restais persuadée que cela avait été un frein.

Cependant la situation entre le jeune Roi et moi s’était rapidement dégradée. Lorsque je lui avais révélé ma décision concernant notre mariage, j’avais eu l’impression qu’il n’avait eu ni chaud ni froid. Pourtant je ne lui en avais pas tenu rigueur, sans doute espérais-je que tout redeviendrait comme avant ? J’aurai du me prénommer Candide ! Quelques semaines après notre conversation et notre rupture, j’apprenais de la bouche de mon frère qu’Edwin allait se marier à une princesse de Térébinthe pour assurer une alliance. Alors là, ce fut le coup de massue qui m’enfonça six pieds sous terre ! J’étais alors persuadée qu’Edwin ne s’était jamais intéressé à moi et le montrait au public. N’avais-je été qu’un jouet finalement ? J’étais humiliée, honteuse, trahie ! Les gens murmuraient sur mon passage et ricanaient en secret. Et bien oui ! Je n’étais pas une princesse ! Le seul sang dont je disposais était celui d’un amnésique, traitre à son propre trône ! J’avais été blessée de ce geste, surtout venant de la part d’Edwin. Aussi avais-je décidé de me venger. Oui, me venger c’est bien cela, lui qui employait tant ce mot, en connaissait-il réellement le sens ? Je n’avais jusqu’à présent jamais pleuré la perte de cette histoire d’amour. Je me rabattais en réalité sur l’idée que le jeune Roi n’en valait pas la peine. Je le détestais autant que je souffrais. Comment réclamer justice ? J’avais songé, dans les heures les plus sombres, à faire assassiner Yoren puis m’étais ressaisie. Je ne voulais pas avoir un meurtre sur la conscience, aussi noire soit l’âme de celui-ci. Non, je devais le toucher au plus profond. Ce fut une matinée que je réalisai qu’Edwin tenait autant au pouvoir qu’à son meilleur ami. Le détrôner ? Bien sûr ! Telle serait la punition qu’il subirait pour s’être attaquée à une famille de Telmar bien plus illustre que la sienne ! Et plus particulièrement à celle qui était la plus naïve, la plus faible. Oui faible, j’étais faible. Mais plus pour bientôt ! Sans plus attendre j’avais écrit une lettre à un Seigneur Telmarin, réputé pour sa grande volonté de faire tomber le Roi actuel. Telle était MA volonté.

Je réalisai alors où je me trouvais. J’étais à l’extérieur du château, près des écuries, et avais au passage pris mon épée (on est jamais sûrs de rien, surtout ces derniers temps quand on s’appelle Rosalie Andrews). Depuis toute petite j’avais été un garçon manqué et mon frère m’avait appris à me battre. Par précaution, j’avais donc pris celle-ci, si malheur il m’arrivait. Marcher sans avoir de but précis était réconfortant. Je me perdais mes pensées, toujours les mêmes, toutes dirigées vers une même personne. Cependant mon attention fut retenue par des bruits métalliques et des cris de rage venant de la cour du château. Je me dirigeai donc dans cette direction pour savoir qui était l’auteur d’un tel raffut. Mon cœur ne fit qu’un bond lorsque je vis Edwin, Roi de Telmar, en personne, s’essayer à l’escrime. Il était très doué et avait d’ailleurs suivi les mêmes cours que moi durant notre enfance. Edwin demeurait cependant plus fort que moi. Mais les habitudes ne sont-elles pas faites pour être bousculées ? Mes lèvres esquissèrent un sourire. Je m’approchai très silencieusement d’Edwin, il ne m’avait alors pas entendue. A quelques pas de lui, je déclarai d’une voix forte :

« Edwin Petterson. »

Instantanément, il se retourna et pris son épée pour la pointer vers moi. D’un geste vif je sortis la mienne si bien que nos deux épées se heurtèrent en un grand bruit sourd et clinquant. Nous étions donc là, à quelques pas, nos épée entrecroisées devant nous et nos regards se livrant un duel sans merci.