Jusqu'ici, qu'as-tu vécu ?
Mon histoire, du moins le début, n'est pas une chose plaisante à raconter, mais s'il faut le faire...
Il faut savoir qu'à ma naissance, je n'étais pas n'importe qui. J'aurais pu faire partie du peuple, ou des simples nobles de Telmar, mais je fus plus que cela, et moins en même temps. Ma mère se nommait Delia Ernelio, et était une jeune fille de noble. Mais elle était avant tout la seule et unique maîtresse du roi Caspian IX. Celui-ci était marié et avait une reine qu'il aimait, mais tous les hommes ont des faiblesses, particulièrement avec les femmes. Je fus le premier enfant né de leur union secrète ; j'avais seulement deux ans de différence avec le Prince Caspian. Mais je ne fus pas considéré comme un prince du fait que je n'étais pas légitime, puisque non porté par la reine. Le roi m'appréciait, d'après ce qu'on me dit, et avait parfois l'air de me porter autant d'attention qu'à son vrai fils ; toutefois, je ne fus jamais légitime, et restait un simple bâtard royal. Deux ans plus tard, un autre enfant naquit du ventre de Delia, se prénommant Rosalie. Mais notre mère ne survécut pas à cet accouchement. Quant au roi Caspian, du fait que sa maîtresse était morte, il ne resta pas proches de nous ; de plus, il mourut à son tour peu de temps après, mais d'une cause tout à fait différente qui fut masquée pendant longtemps.
J'étais encore jeune et ne me rendais pas réellement des choses, mais Rosalie et moi étions orphelins, et du fait de notre statut, nous allions sûrement finir dans un orphelinat miteux dans les quartiers pauvres de la ville. Qui voudrait de deux bâtards après tout ? Mais le frère du roi, Miraz, qui devint régent et "Lord Protecteur", décida de nous permettre de rester au château, et nous appréciait assez pour nous permettre d'avoir une éducation décente. Certes, nous ne fûmes pas éduqués en priorité comme Caspian, ou même comme les enfants des seigneurs de Telmar, mais je m'en moquais. En grandissant, Miraz devint plus puissant après la mort de la reine, bien que je ne m'y connaisse pas en politique à l'époque. Rose était la petite préférée, la petite protégée, et il cédait à mes caprices. Il était plus proche d'elle que de moi, mais je m'en moquais. Ma seule préoccupation, à l'époque, était que ma soeur soit la plus heureuse possible. Nous avions un roi qui nous protégeait, des nourrices et des précepteurs pour nous éduquer, mais au final, ce fut en réalité moi qui l'éduquais et qui la protégeais.
De mon côté, poussé par Miraz, je fis en sorte d'être le meilleur quelque part. Et ce domaine fut celui du combat. J'aimais beaucoup me battre plus jeune, même avec des épées en bois ; avoir une vraie épée en acier, bien tranchante, bien équilibrée, brillante au soleil. C'était beau, c'était un vrai art. Et les techniques étaient si belles et si complexes que j'y pris beaucoup de plaisir tout au long de mon enfance. Il est sans dire que lorsque j'eus l'âge, je m'engageai dans l'armée et devint rapidement l'un des meilleurs soldats. Je me spécialisai dans les combats de corps à corps, bien que je sache également bien manier un arc et une arbalète. J'appris à me battre à cheval, ce qui était sacrément amusant, avec diverses armes. Parfois, bien qu'il n'aimait pas autant les armes que moi, je combattais Caspian qui se débrouillait bien, il fallait le dire. Au fil du temps, il avait compris l'adultère de son père mais ne m'en voulait pas, si bien que nous étions assez proches, sans pour autant nous considérer comme des frères. Mais alors que j'avais presque 19 ans, Caspian s'échappa du château alors que la nouvelle de la naissance du fils de Miraz retentissait dans tout le royaume. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que Miraz avait sans doute prévu de supprimer Caspian, étant considéré comme le roi et ayant à présent un héritier légitime. Mais je ne suivis pas mon demi-frère. Je restai avec mon oncle, et ma sœur fit de même. Il n'était pas question de trahir Miraz, même si j'avais été en faveur de Caspian.
Quelques semaines plus tard, la guerre fut déclarée. Le roi m'avait, entre temps, nommé capitaine afin que je fasse mes preuves, étant persuadé que la victoire allait être rapide. Mais elle ne fut pas aussi simple qu'on l'imaginait. Caspian avait trouvé des animaux dans les bois, et des créatures toutes les unes plus étranges que les autres. Ce que je - ainsi que les autres soldats - ne savais pas, c'était qu'il avait également ramené soit-disant des anciens rois et reines de Narnia. Ils n'étaient pas des fantômes, tout simplement parce qu'ils n'étaient pas morts. Je ne savais pas comment c'était possible, mais dans le camp d'en face se trouvaient le roi suprême Peter, dont j'avais entendu le nom dans l'un des contes que lisait Caspian autrefois, et qui avait vécu un millénaire avant nous. Je compris à la fin, en voyant le fameux Aslan, leur dieu - qui n'était pas non plus un personnage de contes de fées - : la magie était revenue à Narnia. Pendant la bataille finale, Miraz mourut, et Caspian m'expliqua plus tard qu'en réalité, il avait été assassiné par un ancien seigneur que j'avais d'ailleurs bien connu.
Dans les jours qui suivirent, Caspian, par sa victoire, reprit son trône et devint le roi Caspian X, tandis que le roi suprême Peter, ainsi que son frère royal Edmund et ses sœurs royales Susan et Lucy, reprirent leur ancien trône de Narnia. Telmar semblait bien petit et bien faible alors... Toutefois, n'étant pas bête, je fis tout mon possible pour redevenir proche de Caspian. C'est ce qui arriva, et bien que je restais un simple capitaine d'armée et le bâtard d'un ancien roi, j'étais assez proche du pouvoir. J'étais une sorte de conseiller, mais peu puissant toutefois, car Caspian en avait déjà un, le seigneur Darmagno.
De mon côté, je commençai à vivre ma vie, et laissai également Rosalie libre. Certes, elle avait toujours été maître de son destin, mais j'avais toujours été protecteur avec elle. Aujourd'hui, elle avait dix-sept ans et pouvait s'envoler comme elle le souhaitait. Quant à moi, il ne me fallut pas longtemps pour trouver quelque chose de bien qui me rendait heureux. Lors d'un banquet organisé en compagnie des gouverneurs insulaires, qu'ils soient Narniens ou non, je rencontrai la fille du Gouverneur Elbereth, Anne. Je ne sais comment, ni pourquoi, mais je tombai amoureux d'elle, ce malgré la distance. Nous commençâmes une relation qui s'annonçait plus ou moins longue, remplie de passion, et qui se terminerait tragiquement.
J'en reviens à présent à Caspian. Celui-ci commençait à se comporter étrangement, et je n'étais pas le seul à le voir. Il avait un regard vide, plus profond qu'un puits, et l'instant d'après, ses yeux étaient aussi froids et durs que la glace. Il partait parfois sans s'expliquer, et ne disait pas un mot lorsqu'il revenait quelques jours plus tard. Seul son bras droit semblait au courant et avait l'air tout aussi bizarre. C'est alors qu'un jour, mon demi-frère nous annonça qu'il avait l'intention de déclarer la guerre à Narnia et de récupérer les terres de ses ancêtres ; et je vis par son ton et son regard que rien ne pourrait le faire changer d'avis, même une épée sous sa gorge. Dans un sens, je n'étais pas contre une guerre : c'était une nouvelle façon de prouver mon habilité au combat et au commandement, et j'étais pour le bien et la puissance de mon pays. J'avais promis mes services à Caspian, et je tiendrais ma parole. Le problème demeurait Anne... Je ne lui dis cependant rien, et à la place, je la demandai en mariage. Je l'aimais, elle m'aimait. Elle était la femme qu'il me fallait, j'en étais presque sûr. Elle accepta, et nous étions les plus heureux au monde. Mais en quelques mois, tout dérapa.
Anne perdit son père et dut le remplacer en tant que Gouverneur. Toutefois, la situation fut compliquée pour elle, et je ne pouvais l'aider ; notre relation eut une petite pause, bien que nous communiquions encore par lettres toujours aussi enflammées. Alors que les choses s'apprêtaient à aller mieux, je savais qu'elles allaient dégénérer. Et peu de temps après, Caspian fit officiellement la déclaration de guerre à Narnia. Anne et moi étions alors ennemis, sachant qu'elle était Gouverneur et que j'occupais également une place assez importante chez les Telmarins. L'inévitable arriva : nous partageâmes une dernière nuit ensemble à Telmar, où on lui avait promis la paix et la sécurité, et le lendemain, je retrouvai un mot écrit de sa main, avec le lit vide.
Sans parler de ce qui allait suivre. J'étais dévasté, mais ceci me motivait pour la guerre. C'était injuste de se défouler sur des hommes qui pouvaient être comme moi, mais c'était la dure loi des batailles. Mais alors que je ne pensais qu'à ça et aidais Caspian ainsi que les autres soldats telmarins dont j'aurai la charge, j'appris une nouvelle atroce. Quelque chose qui me choqua profondément et me mis encore plus en rage. Ma sœur avait assassiné un seigneur, qui n'était autre que Darmagno, le bras droit de Caspian. Rose avait alors seulement dix-neuf ans, et j'allais atteindre les vingt-et-uns.
Évidemment, elle dut subir un procès, et la sentence finale fut la peine de mort, la décapitation. Je ne pus rien faire pour cela, et crus que mon monde allait s'effondrer si j'assistais à ça. Alors que je commençais à prévoir des plans pour l'aider à s'évader, pour la faire partir loin d'ici, et bien d'autres choses, la guerre débuta, et l'exécution n'eut jamais lieu.
Toutefois, je participai à la guerre, m'occupant d'arrêter les soldats venant des villes comme Beaversdam et Beruna pour qu'ils ne rejoignent pas le champ de bataille. Je préférais me tenir loin de la bataille en elle-même, non pas par peur, mais parce que je savais que de toute manière, Telmar gagnerait. Caspian s'était allié avec Calormen, et Narnia avec Archenland. Or, l'armée calormène était reconnue pour sa puissance et son nombre important. Et en effet, Telmar et Calormen gagnèrent cette guerre. En prime, j'appris que le roi Peter était mort, ce qui portait un beau coup à Narnia, et qu'Anvard, capitale d'Archenland, avait été prise. Tout ceci s'annonçait comme une merveilleuse nouvelle, et il y eut très vite une ombre au tableau. On m'informa que Caspian, qui avait tué le roi Peter, avait fui du champ de bataille. Quelques soldats l'ayant croisé avaient déclaré qu'il semblait perdu et ne reconnaissait plus rien. Je pris ça pour une prise de remords ou un mauvais coup sur la tête, avant de comprendre qu'il s'agissait en réalité d'une amnésie. Plus jamais je ne vis Caspian depuis.
Mais le pire fut quand je revins à Telmar. En quelques jours, après que la nouvelle de la disparition de Caspian avait été propagée, quelqu'un en avait profité pour faire un coup d'État au château - qui était plus ou moins vide, seulement habité par les courtisans - et prendre la place du roi. Et j'appris qu'il s'agissait d'un ancien espion de Telmar qui se nommait Edwin Petterson. Je me mis à haïr cet homme dès que je le vis. On ne prenait pas un trône comme ça, pour faire joli ! Il ne respectait rien, et encore moins la famille royale. Comment un simple espion pouvait savoir ce que c'était que de gouverner, quand il n'avait jamais rien fait sauf espionner ! Je savais en plus qu'il n'était même pas Telmarin, mais Archenlandais, ce qui rendait la chose plus grave, bien qu'il ne porte pas son pays d'origine dans son cœur. Mais ce que je supportai encore moins, c'est que cet idiot avait volé ma place ! Si Caspian avait été déclaré mort sans héritier, le choix aurait été simple : le fils de Miraz, âgé de deux ans et demi, ou moi, bien que je ne sois considéré que comme un bâtard. Mais c'était trop tard maintenant...
La seule chose pour laquelle je devais le remercier fut d'avoir libéré Rosalie de prison. En partie à cause de cet acte, je ne pus faire autre chose que de prêter serment d'allégeance au nouveau roi, bien que chaque parcelle de mon corps me hurlait de lui trancher la gorge. Je fis ce qui était le plus intelligent pour moi : comme avec Caspian, je fis tout pour le servir au mieux, que j'approuve ou non ses projets. Ceci porta ses fruits lorsque quelques mois plus tard, je fus officiellement anobli et devins l'un des seize seigneurs de Telmar. Ceci me permit, entre autre, de m'éloigner un peu de la capitale et du château royal, et me fit beaucoup de bien.
C'est ainsi que je vis depuis, servant le roi Edwin et gouvernant la province qui m'a été attribuée. Mais ce que personne, ni même Rose, ne sait, c'est que je compte trouver Caspian. Cela fait de nombreux mois que je tente de le chercher, par moi-même ou par le service d'espions plus compétents. Parfois, je savais précisément où il était et ce qu'il faisait, et cela ne semblait pas bond. Il vivait comme un nomade, comme un vagabond, sans visiblement agir. Mais je ne perdais pas espoir. Bien qu'il disparaisse souvent, je sais que je le retrouverai et lui parlerai un jour, en espérant qu'il m'écoute et retrouve la mémoire.
Toutefois, une ombre s'est glissée au tableau depuis quelques mois... En effet, Edwin faisait visiblement parti d'un groupe choisi par les dieux - ce détail me fit bien rire - qui leur avaient donné des dons, des pouvoirs. Je n'y croyais pas jusqu'à ce que je vois un immense dragon bel et bien réel. Je savais que la reine Susan avait également un don et l'exposait en public. Mais tout cela m'indiquait que même si je retrouvais Caspian et que ce dernier était décidé à reprendre son trône, la tâche allait être plus ardue que je ne le pensais. Sans compter le fait qu'à cause de l'alliance Telmar/Calormen que le roi chérissait tant et qui avait été rejetée par le nouveau roi Calormène sans qu'il n'en sache rien, la guerre semblait à nouveau s'approcher...