Je quittai le château de Cair Paravel d'un pas décidé et fermé. Vêtu d'une simple tunique narnienne, aux couleurs plutôt sombres pour la saison mais qui reflétaient les tensions actuelles. Ma fidèle lame enserrée dans un fourreau aux motifs dorés, accrochée à une ceinture, qui se balançait au rythme de mes pas. Une expression neutre et indifférente habillait mon visage, comme toujours. Non pas que je n'étais pas d'humeur à rire. J'avais simplement appris au cours des années à ne pas laisser les gens pénétrer mon esprit par mes faits et gestes, ainsi que par mes émotions. Sans doute la raison pour laquelle peu de personnes osaient aujourd'hui me regarder en face. De toute façon, on me connaissait mieux sous le nom de "maître d'armes" ou de "banni d'Archenland", ce qui me donnait une réputation assez imposante et intimidante, voire négative. Peu importe, je me moquais de l'opinion du peuple sur moi ; en revanche, je faisais attention aux remarques sur mon métier, sur mon enseignement, sur mes techniques.

Où allais-je ? Au village annexé à Cair Paravel. J'avais pensé, quelques semaines plus tôt, que je pouvais utiliser mes talents pour aider non seulement les nobles du château, mais aussi les villageois. Cette idée s'était renforcée lorsque la reine Susan avait été capturée par le roi de Telmar. Ils étaient les premiers attaqués et les premiers touchés lors d'une guerre. Ils devaient apprendre à se battre, ou au moins à se défendre, mais peu avaient le temps, la capacité et l'argent pour se le permettre. Alors j'allais au village, ainsi que dans les autres villes comme Beaversdam ou Beruna. Et c'était ce que je faisais aujourd'hui. J'avais même prévu d'y rester toute la journée, s'il le fallait. Tout dépendait du peuple et de sa volonté. J'entrai alors dans le village, et certains m'accueillirent avec joie. Preuve que je servais à quelque chose et que je les aidais comme ils le voulaient. Voir leur joie dans leurs yeux me suffisait amplement, je n'avais besoin d'aucun remerciement.

Je passai devant la grande place du village, au milieu du marché, et fus surpris de voir que quelques personnes prononcèrent mon nom ou parlaient avec d'autres à mon passage, ayant sûrement compris ce que je venais faire. Un léger sourire apparut sur mes lèvres, tandis que je continuais de marcher vers l'endroit que j'avais choisi. Un espace suffisamment grand pour s'entraîner sans gêner le reste du peuple. Plongé dans mes pensées, je ne remarquai pas la jeune fille qui se dirigeait dangereusement vers moi, et qui finit par me percuter. Je réussis à tenir sur mes deux pieds, mais elle tomba par terre, l'air sonnée et ailleurs. Elle était jeune, une adolescente. Toutefois, la maturité qui se lisait dans ses yeux était impressionnante et effrayante. Elle finit par parler, ce qui me ramena à la réalité. Je lui tendis une main confidente, tout en lui répondant : « C'est ma faute. Pas de mal j'espère ? »

Elle saisit ma main et je l'aidai à se relever avec un petit sourire d'excuse. Je serais parti tout de suite si cette jeune fille ne m'intriguait pas autant. Quelque chose semblait étrange chez elle, et pourtant elle avait l'apparence d'une jeune fille de seize ans, peut-être un peu plus, tout à fait normale. La couleur de ses cheveux peut-être. Beaucoup de vrais Narniens étaient blonds aux yeux bleus, signe d'une pureté sans égale, de même que les Archenlandais ; mais cette fille avaient des cheveux d'un blond presque blanc, argenté, que je n'avais encore jamais vu. Elle dégageait quelque chose de puissant, d’inquiétant mais aussi d’intriguant. J'étais pratiquement sûr que je ne l'avais jamais croisé ici, ce qui était étrange puisque le village était tout de même assez petit. Peut-être venait-elle d'autre part ? Mais que faisait une fille de son âge en dehors de sa maison ? « Je ne t'ai jamais vu ici, d'où viens-tu ? »

Certes, la question était posée brutalement et maladroitement, mais j'espérais qu'elle y répondrait. Elle ne semblait pas être le genre de fille à être sur la défensive. Mais sans doute n'avait-elle pas vraiment confiance en moi. Qui sait ce qu'elle avait pu vivre avec la guerre, ou les raids de Telmarins qui franchissaient régulièrement la frontière ? Je n'étais moi-même pas très habitué à parler aux gens, étant assez réservé sans aucun regret, d'où ma maladresse de mes paroles. Je me rappelai alors qu'elle ne savait même pas qui j'étais, et que je lui posais des questions alors que j'étais un parfait inconnu. J'en profitai donc pour donner mon prénom avant qu'elle ne réponde : « Je m'appelle Braethan. Je viens aider mes villageois à s'entraîner. » dis-je en levant de quelques centimètres mon épée de son fourreau, laissant la lame en acier briller au soleil.

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