Jusqu'ici, qu'as-tu vécu ?
Qui suis-je ? Personne ne le sait vraiment. Qui pourrait deviner la vie de quelqu'un qui cache sans cesse sa véritable identité ? Jouer un double jeu ça peut être épuisant... Surtout lorsqu'on le joue en permanence. Mais je suis une battante. J'ai ça en moi, et je ne pense pas pouvoir y changer grand chose. On possède tous un don, un parcours, un destin. Je suppose que mon don est un mélange de discrétion, de manipulation et de changement d'apparence. Mon parcours est probablement fait de telle sorte qu'ils soit semé d'embuches. Et mon destin je l'ignore encore. Mais je n'ai pas envie de le connaître. Pas tout de suite. Vous racontez ce qui m'est arrivé chers lecteurs me semble néanmoins une bonne façon de me connaître, bien que nous ne nous rencontrerons jamais. C'est bien pour cela que je vais vous conter mon histoire...
J'ai passé mon enfance entourée de quatre frères. Chacun avait un rôle dans notre famille. Nos parents habitaient une petite maison près des eaux dans une ville reculée de la capitale. Mon père était seulement marchand de poissons à l'époque. Ma mère quant à elle s'occupait des bateaux du port et de vérifier qui les louaient et qui les empruntaient. Mon frère ainé lui, partait avec mon père dans le but d'en apprendre plus sur son métier pour reprendre la relève un jour, bien que ce n'était pas un métier très aguicheur. Mais vous savez ce qu'on dit ; le travail doit être fait par quelqu'un. Mon frère cadet quant à lui s'occupait d'aider le forgeron de notre quartier à forger ses métaux précieux. Mon troisième frère s'occupait avant son accident d'aider ma mère avec les bateaux. Et pour finir, mon quatrième frère (le dernier de la famille) et moi-même nous occupions de ranger notre maison et de préparer les repas.
Nos parents nous avaient appris à tous très jeunes à nager. Vivre près d'un port requiert la possibilité de devoir monter sur un bateau. Et monter sur un bateau peut éventuellement vouloir dire que l'on peut en tomber. Et tomber d'un bateau signifie qu'il ne faut pas paniquer et provoquer sa propre mort par noyade de cette manière-là. Donc il faut apprendre à nager. Certes mes paroles peuvent être un peu étranges, mais ceux qui ne vivent pas dans ce genre de ville ne peuvent imaginer quelle vie nous y menons. De plus, nous vivions dans le désert. Et vivre près de l'un des rares endroit aussi près d'une source d'eau importante est à la fois un avantage et un inconvénient. Tous les marchands et les étrangers passaient par le port et se retrouvaient dans notre village. Certaines personnes s'étaient faites kidnappées et vendues aux marchés d'ailleurs. Les esclaves existent toujours à Calormen.
Pour en finir avec mon enfance, je tiendrais à dire que nul n'a le droit de nous juger ma famille et moi. Mes parents étaient bons avec nous et nous étions tous très solidaires. Nous n'avions juste pas tous les mêmes capacités... En jouant près du port un jour, le troisième de mes frères tomba à l'eau. L'eau était très profonde là où il tomba, et nous étions encore petits. Seul mon frère ainé se jeta dans l'eau pour tenter de le sauver. Mon petit frère et moi sommes allés prévenir nos parents pendant ce temps-là, laissant mon frère cadet attendre un signe de nos frères tombé et jeté à l'eau. A notre retour cependant, mon frère était toujours tout seul. Des hommes du port ont tenté de retrouver mes frères. Mais aujourd'hui encore, j'ignore comment ils ont disparus. Y avait-il une créature dans l'eau ? S'étaient-ils juste noyés ? Ils savaient nager pourtant. Il fallait croire que leur destin était tragique. Peut-être un peu trop même...
Il ne restait alors plus que mes parents, mon frère cadet devenant ainsi mon unique grand frère et mon petit frère. Nous évitions de retourner sur les lieux du drame et mon père finit malgré tout par disparaître en mer. Avait-il fait naufrage ? Avait-il croisé des pirates ? Je l'ignore encore. Quant à ma mère, elle surmontait son absence de son mieux. Elle hésita néanmoins un moment avant de nous pousser à devenir les apprentis de gens du quartier. C'est ainsi que mon petit frère devint l'apprenti d'un charpentier et que je devins l'apprentie d'un chirurgien. Évidemment, les chirurgiens calormènes ne connaissaient pas les mêmes choses que les chirurgiens des pays du nord... Ce n'est pas pour autant que nous en savions moins. J'eus une excellente formation toutefois et cela me permet maintes fois de sauver des vies au cours de ces vingt-trois années passées ici. Mais l'enfance et le début de l'adolescence sont des périodes bien vastes et éphémères...
En devenant adolescente, j'ai vraiment changé. Enfant, je n'avais rien d'exceptionnel. Confinée dans cette ville avec la perte de deux de mes frères sur la conscience et la disparition de mon père, la vie était plutôt morne. Nous nous contentions de ceux qui restaient bien-sûr, mais était-ce vraiment réconfortant ? Je n'en suis pas sûre. Mais nous sommes devenus beaucoup plus proches à nous quatre. Aussi, mon grand frère décida de rentrer dans l'armée du tisroc Abel Eshbaan. Mon petit frère resta avec ma mère car il était encore trop jeune pour partir. Alors il devint aussi pêcheur avec des hommes du port, bien décidé à vaincre sa peur de l'eau. Il en avait eu la phobie depuis la triple perte familiale que nous avions connus. Quant à moi, je parti pour la capitale avec mon frère. Nous allions loger chez nos grands-parents maternels et ainsi, il serait directement sur place si le tisroc avait besoin de lui et moi je pouvais chercher une formation.
C'est durant cette période que je me suis en quelques sortes intégrer dans plusieurs groupes d'adolescents de la capitale. Tous étaient différents. Il y avait des pauvres, des riches, des nobles, des gens comme moi aussi. Mais chaque groupe restait avec sa catégorie sociale. Je trouvais ça relativement stupide et un peu égocentrique aussi. Et je m'en suis inspirée pour tous les joindre à la fois... J'ai suivi une formation de couture pour apprendre à réaliser des vêtements me permettant de me créer une garde-robe assez solide pour pouvoir passer pour une fille issue d'un milieu en particulier. J'ai gagné un peu d'argent et ait expérimenté plusieurs coiffures également grâce à l'aide de ma grand-mère et j'ai fini par apprendre à me maquiller par la même occasion. Tout était une question d'apparence et de comportement. De langage et de codes. Alors je n'étais pas très expérimentée... Je n'ai pas toujours pu rester longtemps dans un groupe car parfois on démasquait mon jeu de comédienne. Mais j'adorais ça, car j'apprenais de mes erreurs pour ne plus les refaire.
Aussi avec le temps, je me suis éloignée de la capitale, suivant une formation d'armes également. J'ai appris le combat à l'épée et au sabre ainsi que le lancer de couteau. Je devais beaucoup m'entrainer seule à vrai dire, mais j'apprenais vite quand j'étais passionnée. Et j'ai pu testé mes nouveaux jeux d'apparences et de codes avec d'autres gens. Quelque part, j'apportais une touche de naturel dans chacun de mes "rôles" bien que je jouais également la comédie. La comédie sociale en outre. Lorsqu'au bout de quelques années je parvins à me construire une "multitude" de personnalités différentes et que mon jeu était excellent, je me rendis à Tashbaan pour revendre quelques unes de mes tenues devenues trop petites. J'étais partie sur quelque chose de nouveau. Une idée nouvelle, infaillible. Je créais à nouveau quelques tenues puis enfilais quelque chose et me coiffais convenablement pour me rendre au palais royal.
Une fois au palais, je réussis à rencontrer le tisroc de l'époque, qui était Yoren Eshbaan. En le voyant je fis une révérence et me pliais aux codes royaux et au langage royal. Je lui fis ensuite part que s'il le désirait, je lui offrais mes services en tant qu'espionne. Pourquoi espionne ? J'avais entendu parler de ce "métier" il y a de là quelques années et le fait de devoir changer de peau tel un serpent et d'identité me sciait dès à présent. Je ne voulais pas rester sur place de plus. J'avais besoin de voyager, d'explorer le monde ! Je n'étais pas faite pour rester sur place, je devais voir ce qui se cachait ailleurs, accomplir quelque chose. C'est ainsi que le tisroc me donna ma première mission. Je devais aller à Telmar avec un autre espion afin de savoir un peu la situation là-bas et de la rapporter à Calormen. Cette mission semblait pourtant banale et n'avait rien d'extraordinaire... Mais j'en éprouvais une grande fierté. Je me rendais utile, et j'en apprenais encore plus sur le monde. Mon éducation n'avait pas pu être celle des nobles, ni celle des riches. Mais en arpentant le monde, je pouvais par le biais des missions en apprendre davantage.
Après le rapport que l'espion avec qui j'étais partie fit, le tisroc décida alors de me prendre comme espionne pour de bon. Je l'en remerciais avant d'aller fêter ça avec ma famille. J'envoyais une lettre à ma mère et à mon petit frère qui étaient fiers pour moi comme ils l'avaient été pour mon frère lorsqu'il était devenu soldat. Je fis alors plusieurs voyages, plusieurs rapports et rencontrai beaucoup de gens. Où que j'allais, je me glissais parmi la population, m'imprégnais un peu de leurs coutumes pour ne pas paraitre trop étrangère à leurs yeux et j'évitais néanmoins de parler à n'importe qui. Alors les auberges et les tavernes ainsi que les marchés sur les places des capitales étaient les meilleurs endroits où recueillir des renseignements. Je ne restais jamais bien longtemps pour ne pas éveiller les soupçons et rapportais toujours quelque chose de mes missions. Un petit objet, une pierre quelconque, un bijou en perles... J'avais toujours quelque chose à ramener. Parfois j'offrais l'un de mes souvenirs à un membre de ma famille, mais sinon, je mettais tout dans un coffre.
Un jour, un bal fut organisé au palais. Évidemment, je n'avais pas le droit de m'y rendre... Il y en avait plusieurs d'organisés d'ailleurs et je n'avais jamais été conviée à y aller. Mais cette fois... Le bal était costumé. Tous les invités devaient porter un masque. J'étais toujours habillée comme un homme lorsque je me rendais dans la demeure de la famille royale. Aussi, j'avais décidé de m'habiller comme l'une de ces femmes nobles et j'avais bien attaché mes cheveux de sorte que l'on ne me reconnaisse pas. J'avais ensuite prit un masque ne dissimulant que mes yeux, mais généralement, personne ne faisait attention à moi donc me reconnaître aurait été un peu difficile pour les gens de la cour. Aussi, durant la soirée, j'ai dansé avec plusieurs hommes en copiant les pas des danseuses, mais je n'étais pas très douée pour la danse et cela m'a peut-être trahit quelque part. Un homme semblait me porter plus d'égard que les autres et je devais bien avouer que même dissimulé derrière son masque, il était assez séduisant.
Je n'avais jamais vraiment été dans ce genre de réception ni dans ce genre de situation. Aussi j'ignorais un peu comment parler et comment me tenir... Mais qui s'en souciait ? Personne ne savait qui j'étais de toutes manières. Alors j'ai passé la soirée avec cet homme. Nous avons parlé de généralités pour tenter de ne pas faire tomber les masques trop rapidement. Il parlait bien et avait de véritables bonnes manières, aussi je savais que je parlais à quelqu'un de la haute société. Mais il ne semblait pas forcément prétentieux pour autant, ou alors il le tournait bien à la dérision. Il savait ce qu'il voulait et pouvait l'obtenir en un claquement de doigt. J'ai réussi à analyser tout cela durant les quelques heures passées en sa compagnie... Aussi je lui retrouvais un charme que j'avais déjà reconnu quelque part. Mais le fait de songer que je pouvais le connaître réellement m'intimidais et je préférais restée dans ce jeu basé sur les apparences souvent trompeuses.
Puis nous avons tourné la conversation en dérision, de sortes que nous commencions à nous intéresser plus amplement l'un à l'autre. Je ressentais comme une attirance à la fois physique et peut-être même "intellectuelle" envers lui. Je ne savais rien de lui et ignorais qui il était mais il me plaisait de plus en plus. Et c'est ce qui nous poussa inconsciemment à nous écarter de la foule. Comme si tout deux nous avions décidés de garder tout cela secret. Ça avait quelque chose d'assez exceptionnel, d'interdit. Je commençais cependant à oublier les règles et j'avais de plus en plus envie de voir son visage, de savoir qui il était... Mais avant même de songer à tout ça, nous finîmes par sceller nos lèvres par le biais d'un baiser. Ce n'était pas la première fois que j'embrassais un homme. Mais je n'avais jamais embrasser quelqu'un en ressentant ce genre de chose. C'était comme si aussitôt j'avais le désir de l'embrasser plus encore, de revivre ce moment sans le voir jamais s'arrêter... Et c'est après notre baiser qu'il retira mon masque.
Je ne savais pas comment réagir sur le moment, aussi je fus prise de panique lorsque je vis quelqu'un nous apercevoir. Je pris alors mon masque et le remettais en toute hâte avant de quitter les lieux. Mais c'était trop cruel. Il ne m'arrivait pas spécialement de mauvaises choses mais j'avais quand même perdu des gens que j'aimais auparavant. Et devoir quitter comme ça quelqu'un avec qui j'avais le sentiment de pouvoir me sentir bien, voir même d'être heureuse, ça me fendait le cœur. C'est pourquoi j'attendis de m'être un peu éloignée avant de me retourner une dernière fois. Nos regards se croisèrent puis je pris la fuite en faisant mine de me sentir mal pour ne pas éveiller trop de soupçons. Cette nuit-là, je ne pus fermer l’œil et je fus choquée en me rendant compte qu'il m'avait vue. Il me connaissait peut-être. Et dans ce cas... Il savait que je n'étais qu'une espionne misérable à la vie trop inintéressante pour avoir autre chose à faire que de servir les intérêts d'un peuple qui n'en avait que faire de moi.
Puis quelques temps passèrent et le tisroc me demanda de partir en bateau du port où j'avais vécu toute mon enfance pour une mission importante. Je sais, c'est absurde mais... Je ne me souviens absolument pas de ce en quoi consistait la mission. Mais lorsque vous saurez ce qui m'est arrivée, peut-être vous rendrez vous compte que ce n'est rien comparé à ce que j'ai vécu. Oublier un énoncé. L'énoncé de la raison pour laquelle j'étais partie en mer. J'ai pu passer le bonjour à ma famille certes, avant de partir. Et c'est alors que j'ai embarqué avec quelques calormènes pour une île éloignée du côté de Narnia. Durant mon absence cependant eut lieu la guerre. La grande guerre opposant les quatre principaux royaumes de notre monde. Mais je ne sus rien de ce qui s'était passé avant mon retour. Mais revenons-en à nos chèvres... Sur cette embarcation, il y avait quelques telmarins et des calormènes. Je n'ai jamais compris ce que les telmarins faisaient là et quelque part je m'en fichais.
Au bout de quelques semaines de navigation en mer, il y eut des tensions sur le bateau. Il suffit de quelques mauvais caractères ou de personnes ayant une trop forte personnalité pour que des disputes éclatent. Je me suis moi-même disputée avec des gens d'ailleurs. Aussi, à cette époque je décidais de garder toujours un couteau sur moi si jamais. Mais il n'y avait pas que du mauvais à retenir de ce voyage en bateau. J'ai fais une rencontre inoubliable sur le pont un jour. Il y avait un garçon un peu plus jeune que moi qui était en train de regarder l'horizon. Il n'y avait rien pourtant, que de l'eau et le néant. Et il adorait ça, il n'avait jamais vu la mer de sa vie et était émerveillé devant autant de beauté et de grandeur. Je devais moi-même reconnaître que cela faisait un bien fou de quitter la terre ferme en étant sur un aussi gros bateau. Nous y étions juste depuis un peu trop longtemps disons... Mais je suis allée lui parler et nous avons discuté tout l'après-midi de l'eau. De notre enfance respective. Je lui ai révélé ce qui était arrivé à ma famille. Je ne l'avais jamais dit à personne.
S'il n'avait pas été aussi "jeune" je pense que j'en serais tombée amoureuse. Mais que savais-je de l'amour à cette époque ? D'ailleurs, qu'en sais-je encore aujourd'hui... Je l'adorais. Et j'en ai fais mon meilleur ami. En un temps inconsidérable. Et c'était réciproque. Nous avions une relation particulière et je l'adorais. Nous faisions quasiment tout ensemble d'ailleurs. Nous mangions ensemble, nous dormions ensemble, nous marchions ensemble, nous allions sur le pont ensemble... C'était probablement enfantin quelque part, mais je n'avais jamais été aussi proche et naturelle auprès de quelqu'un, et en aussi peu de temps. Cela a duré quelques semaines aussi. Mais c'était trop beau. C'était trop rare. C'était quelque chose auquel on aurait pas pu rêver, c'était inimaginable. Comment pouvais-je être amie avec quelqu'un que je ne reverrai probablement plus jamais après nos escales respectives ? D'ailleurs nous n'en avions jamais parlé. De là où nous allions. De ce que nous ferions plus tard ensemble. Le présent. Lui seul comptait.
Le bateau tanguait. C'était durant la nuit je crois. Non, j'en suis sûre. Nous dormions dans notre cabine lorsque j'ai ouvert les yeux et qu'il avait disparut. Il n'était plus là et je voyais de l'eau par terre. Je sentais bien que le bateau bougeait plus que d'habitude. Des gens hurlaient. Le vent tapait contre les parois du navire. Je me suis vite levée et je suis partie vers le pont. Il adorait cet endroit et c'est là que je le trouverais, j'en étais persuadée. Mais lorsque je suis allée sur le pont, je me suis retrouvée propulsée contre les bords du bateau. A deux doigts de tomber. Je sentis alors que le bateau coulait... A une vitesse relativement affolante. Je hurlais. J'ai hurlé. Jusqu'à sentir mes poumons prendre feu à cause de la pluie, de la sensation de sel sur ma peau, des secousses, du fait que je ne m'entendais même pas. J'ai vu quelques éclairs dans le ciel. J'ai vu quelques marins et des gens mourir devant mes yeux. La tempête qui menaçait était vraiment horrible.
Je m'en souviens comme si c'était hier. Comment l'oublier ? Je ne l'ai pas revu. Non, jamais. J'ai été attrapée par un homme assez grand et il m'a jetée dans un canot et je me suis retrouvée avec deux hommes et une femme. Puis ils ont coupés les cordages le reliant au navire et le canot est tombé dans l'eau... Je sentis alors une peur atroce en moi. Je n'avais pas peur de mourir. J'avais peur de ne pas savoir où il était. S'il vivait, s'il allait bien, s'il était sain et sauf. Si je reverrai ma famille un jour. Si j'allais être condamnée à rester ici, en mer pour toujours. Si j'allais m'en sortir ou mourir dans l'incompréhension. Ce n'était pas de la mort elle-même que j'avais peur. C'était de ne justement pas savoir si j'allais m'en sortir vivante ou morte. Mais ce que je sais, c'est que durant plusieurs heures nous avons tous lutté dans le bateau pour rester accrochés à quelque chose. Pour avoir une chance de survie. Pour ne pas se laisser mourir comme ça.
Par moments le canot s'est retourné et nous sentions les mouvements sous l'eau, horribles, du grand bateau en train de s'enfoncer dans les profondeurs de l'eau. Quelle vue horrible. Il faisait nuit, mais je voyais le bateau s'enfoncer. J'ai vite tenté de remonter comme il le fallait sur le canot, de peur de sombrer emportée par le courant au fin fond de la mer. J'étais terrifiée. Puis les heures sont passées... Et nous étions en eaux calmes. Le calme après la tempête. Personne ne parlait à bord. Il y avait un marin, un telmarin et une femme apparemment calormène. Son teint était plus mât que le mien. En l'espace de quelques jours, elle fut tuée par le telmarin. Celui-ci tua également le marin car il avait défendu la femme et moi-même en lui disant que la violence ne nous aiderait pas à nous en sortir. Puis il a essayé de me tuer. Me souvenir que j'avais mon couteau m'a sauvé la vie en quelques sortes... Je l'ai tué mais j'ai gardé les cadavres à bord. J'étais seule. Toute seule.
J'ai survécus en mer, seule sur ce canot pendant quelques semaines. Je ne sais pas trop comment j'ai fais... Je crois que se retrouver seul en mer nous permet de reconsidérer notre propre nature. J'ai jeté les corps des cadavres par partie lorsqu'il le fallait. Lorsqu'une créature menaçait par exemple. J'ai failli mourir environ trois fois aussi. Mais j'ai également vu des choses splendides. Surement dues à mon imagination et à mon mal être... Mais que je ne pouvais oublier. J'ai également apprit à pêcher pour me nourrir, alors que je n'avais jamais mangé de poisson de ma vie. Oh, et je ne vous ait pas dit ? Je suis croyante. Je crois en Tash, le dieu des calormènes. Et le fait de croire en lui m'a également aidée à survivre durant mes quelques péripéties en mer. Mais je crois aussi que si je n'avais pas échoué sur une île, je serais devenue complètement folle. J'aurais peut-être pu succombé à l'envie de me mutiler pour devenir cannibale par exemple...
La végétation, la faune et la flore... Tout ça m'a permit de retrouver une alimentation omnivore plutôt que carnivore voire cannibale donc. Je suis restée sur l'île quelques mois. Que dis-je... Quelques années. Le temps que la guerre commence et se termine, que les conflits entre les royaumes grandissent et que les coups d'états s'enchainent. Pendant ce temps-là, moi je survivais sur cette île dépourvue de toute vie humaine. J'ai donc vécu avec les animaux qui furent ma seule compagnie. Je suis donc devenue un peu détraquée durant quelques temps. Jusqu'à ce que je vois un bateau accoster pour récupérer quelques vivres. C'est alors que je fus secourue et retrouvée dans un état lamentable. J'étais presque squelettique, je m'étais coupée les cheveux car je ne supportais pas leur longueur et leur saleté ici, et j'étais pratiquement nue car mes vêtements étaient trop sales et usés pour être mis à nouveau.
Le voyage en bateau dura quelques semaines aussi, mais il dut accoster au moins deux fois pour éviter que je ne devienne complètement folle et dangereuse à bord de l'équipage. On m'aida à remanger normalement, à me laver, à m'habiller ainsi qu'à me recoiffer. La solidarité était importante sur un navire et ça ils l'avaient compris. Grâce à eux, je redevins peu à peu civilisée, bien que de retour à Calormen, je restais quelques temps chez ma mère et mon petit frère afin de redevenir à peu près "moi-même"... J'avais oublié quelques parcelles de ma vie. Oui, je ne me souviens plus de certaines choses qui me sont arrivées et parfois des gens m'accostent en m'assurant que nous nous connaissons mais je ne me souviens pas d'eux. J'ai même oublié le nom de mon "meilleur ami" perdu en mer. Je peux aussi parfois sous haute tension ou sous la pression piquer des crises difficilement gérables si je suis seule avec moi-même.
Mais ne vous attendez pas à ce que quelqu'un perdu en mer et sur une île pendant assez longtemps soit revenu à la vie "normale" chers lecteurs. C'est impossible. Aussi je finis par retourner à Tashbaan. Là-bas je mis un peu de temps avant de comprendre ce qui s'était passé durant mon absence. La guerre, la victoire des alliés, le coup d'état telmarin, l'alliance renforcée entre le tisroc Yoren et le roi Edwin, la disparition de Caspian, la prise d'Archenland... Puis le coup d'état calormène aidé par les Pevensie, ainsi que la libération d'Archenland, l'exil de Yoren sur une île abandonnée de tout (ce qui me laisse penser qu'il est peut-être sur l'île de laquelle je me suis échappée...) et d'autres évènements plus ou moins importants. Je mis du temps avant de tout assimiler et de revenir au palais royal. Je mis également du temps au fond de moi avant d'accepter le fait que le tisroc Soren Eshbaan, fils cadet de la famille royale dirigeait le royaume.
Mais c'est aussi à ce moment-là qu'un homme du nom de Riwal vint me voit dans le plus grand secret. Il me révéla son identité et m'expliqua que le roi de Telmar et lui-même s'étaient alliés pour retrouver Yoren et qu'ils voulaient le remettre sur le trône de Calormen. Mais je ne comprenais pas. Même si ils le retrouvait, en quoi cela me concernait ? Bien-sûr que je voulais revoir l'ex tisroc... Au fond de moi je savais que je voulais le revoir. Je n'avais pas à servir son frère, je ne le connaissais quasiment pas et j'avais de plus, apprit que mon frère ainé était mort à la guerre sous ses ordres. Comment l'aimer ? Je faisais semblant bien évidemment. Être espionne requiert de savoir jouer bien des rôles. Mais Riwal ne m'avait pas dit ce que je voulais savoir : en quoi cela me concernait. Tout ce qu'il laissa entendre, c'était que le tisroc m'appréciait. Mais cela eut le don de me mettre dans une incompréhension la plus totale. Comment pouvait-il m'apprécier ?