Jusqu'ici, qu'as-tu vécu ?
Mon histoire vous intrigue ? Elle pourrait être banale, inintéressante, ou remplie de surprises et de rebondissements. J'aurais certainement préféré la première option, mais que voulez-vous... La vie à Calormen, surtout au palais royal, ne peut pas être banale. C'est le pays des mystères et des aventures ! Je vais donc consentir à vous raconter ce qu'il m'est arrivé, de ma naissance jusqu'en haut de mes vingt-et-un ans
Je suis né environ un mois avant le début de l'hiver, en l'an 2286. Mais cette année, rien d'important ne s'était passé, et toutes les saisons se ressemblaient à Calormen. J'étais le troisième enfant du Tisroc Abel, roi de l'immense et puissant empire Calormène. J'avais déjà un frère aîné prénommé Yoren, et une grande sœur qui s'appelait Crystal. Ma mère, la grande Reine Ornella, venait de donner naissance à un Prince, et était heureuse de voir tant de joie sur le visage de son époux. Il avait plu aux Dieux de lui donner un nouveau fils, qui serait peut-être Tisroc, un jour, ou qui accomplirait de grandes choses. Tout comme son frère aîné, j'avais des cheveux noirs et portait les yeux marrons de notre père. Seule Crystal avait hérité des yeux bleus d'Ornella et de sa magnifique chevelure. Je fus ainsi choyé comme n'importe quel bébé de naissance royale, particulièrement par ma mère. Celle-ci mourut quelques années plus tard de maladie, ce qui apporta beaucoup de tristesse dans notre famille mais aussi dans le royaume ; car Ornella était une Reine très aimante, et ainsi très aimée.
Je fus éduqué par des précepteurs par la suite, tandis que les gouvernantes de ma mère restées au palais tentaient de me transmettre l'amour et la douceur de ma défunte mère. J'appris très tôt l'histoire de Calormen et notre mythologie, ce qui me passionnait. Pendant ce temps, Yoren apprenait à se battre, et était très fort et très doué pour cela. Je voyais souvent, sans comprendre, le visage inquiet de notre père lorsqu'il combattait avec férocité alors qu'il était encore jeune. Quant à Crystal, elle m'enseignait les arts, comme l'aurait si bien su faire notre mère ; elle m'initia à la danse calormène, à la critique d'une œuvre d'art, à la musique. Puis je grandis encore, et on dut m'enseigner le combat à l'épée, le tir à l'arc et à l’arbalète, le droit, la rhétorique, l'héraldique. Mais tout ceci était minime contrairement à l'enseignement qu'avait reçu mon frère. Après tout, il était destiné à être Tisroc, étant l'aîné de la famille, et je n'étais qu'un petit prince derrière lui. Toutefois, on m'attribuerait des terres, et j'aurais besoin de tout mon enseignement afin de régner au mieux sur la province en question.
Alors que je devenais un jeune adolescent, mon père se rapprocha un peu plus de moi, pour me parler à la fois comme un Père mais aussi comme un Tisroc. Il me montra ce que c'était que de gouverner, ce qu'était la justice, l'honneur, le devoir. Il m'enseigna la sagesse, cette fameuse sagesse pour laquelle il était réputé, et que j'avais toujours admiré chez lui. Rapidement, je changeai. Oui, car je souhaitais au début devenir comme ces héros barbares qui gagnent des terres, comme ces Princes ou ces Tisrocs qui deviennent puissants et riches, comme ces guerriers que tout le peuple admirait. Comme Yoren. Mais notre père n'était pas comme ça. Au contraire, il souhaitait enlever l'étiquette de barbare que l'on nous collait automatiquement à chacun d'entre nous, même à la plus douce des jeunes tarkheenas comme Crystal, et voulait progressivement faire la paix avec les pays du Nord ainsi qu'établir une relation durable avec eux. Il m'emmena même à Narnia une fois, après être passé brièvement par Anvard. En peu de temps, j'adhérai à ses idées, et découvris que ma sœur faisait de même depuis plus longtemps. C'est ainsi que je compris pourquoi la relation entre Crystal et Yoren, qui étaient auparavant plus proches que n'importe qui -si bien que je m'étais parfois senti exclu- se détérioraient, et qu'ils se disputaient souvent.
Quelques années passèrent, et j'atteins mes dix-sept ans. Je devenais adulte et commençais à endosser la responsabilité de tarkaan suprême de Calormen - titre donné aux enfants de Tisroc autre que le Prince héritier du trône. J'étais plus grand, plus fort, comme n'importe quel Calormène de mon âge, j'étais un peu plus sage et juste comme l'aurait voulu mon père, mais justement, j'étais encore jeune. Je me préoccupais peu de la politique, sachant mon père en très bonne santé et sûrement sur le trône pour de nombreuses années. Je me permettais donc de vivre dans la richesse et la luxure. J'eus de nombreuses relations, durables ou d'une nuit, j'organisai de nombreuses fêtes et banquets, j'allai de long en large à travers l'Empire. J'en profitais, il fallait le dire. Yoren et Crystal se bagarraient pour des histoires de politique, et tous deux étaient occupés avec des affaires de mariage. Le mariage n'est pas déplaisant, surtout quand on peut avoir plusieurs femmes et plusieurs maitresses, mais j'étais très bien pour l'instant. Mais c'est alors qu'un évènement se produisit, et me ramena à la dure réalité.
«
Votre Majesté ! Mon Prince, réveillez-vous ! » Mon esclave personnelle me secoua de toutes ses forces, chose qu'elle n'aurait jamais osé faire si la situation n'avait pas été urgente. Je me levai rapidement, et la suivis. Nous étions au milieu de la nuit. Elle refusa de me dire ce qu'il se passait, et je paniquais rien qu'en voyant sa détresse. Peu à peu, je compris qu'elle me menait vers les appartements royaux de mon père. Je vis alors la silhouette de Yoren ; il était posté devant la chambre, et regardais d'un air apparemment neutre l'intérieur. Alors que j'approchai avec un terrible sentiment qui me serrait le cœur, quelques hommes sortirent, portant un long paquet blanc. J'entrevis une tâche écarlate qui renforça la peur que je ressentais. Je vis alors une main dépasser du paquet. Il s'agissait en réalité d'un cadavre porté dans un drap blanc. Mon père.
Après un long moment, Yoren s'approcha de moi et m'expliqua ce qui s'était passé. Alors qu'il venait voir notre père pour un conseil, une question, il avait vu la porte entrouverte. Il avait alors aperçu une jeune femme planter une dague dans l'abdomen du Tisroc avec rage, accompagnée de sa servante. Il était alors intervenu, avait tué l'esclave et s'était rendu compte que la meurtrière était Crystal en personne. Il l'avait fait arrêté, et à l'heure actuelle, elle était en route vers Narnia, exilée.
Crystal... Comment avait-elle pu faire ça, elle qui était comme notre mère, la douceur, la gentillesse, la beauté incarnées ? Bien que j'étais confus à l'annonce de cette nouvelle, je ne doutais pas de ce que me disait Yoren. Sans doute la douleur et le chagrin me faisaient perdre toute raison. Lorsque l'enterrement de mon père se termina, après plusieurs jours - car un Tisroc devait recevoir tous les honneurs possibles lors de la cérémonie, afin qu'il rejoigne le palais de Tash en paix - et que mon frère devint Tisroc à son tour, je décidai alors d'aller, avec mon meilleur cheval et d'autres hommes, à Narnia, pour trouver ma sœur. Je traversai le désert plus vite que je ne l'avais jamais fait, passai par la passe d'Anvard pour rejoindre Narnia. C'est alors que je me rendis compte que...je ne voulais pas la voir. Je ne voulais pas d'explications. Je fis demi-tour, et ne montai plus jamais au Nord pour cette raison. J'avais l'impression d'être seul, et de ne pouvoir faire confiance à personne... Sauf à Yoren. Je me rapprochai de lui, et l'aidai un peu dans sa politique. Je pris une place importante dans l'armée, ce qui fut utile lorsque mon frère décida de s'allier à Caspian X, roi de Telmar, dans la guerre qui opposait ce dernier à Narnia et Archenland.
J'avais alors dix-neuf ans. Je fis ce que Yoren m'ordonnait de faire, et dirigeai mes troupes de la meilleure manière qu'il soit. J'aidai également dans la prise d'Anvard, et soumis le roi Jace. Peu après, Telmar eut un nouveau roi, nommé Edwin Petterson ; Yoren devint rapidement ami avec cet homme, et tous deux décidèrent de relier leurs pays respectifs en créant l'Empire Telormène. Archenland fut annexé et faisait partie du nouveau Empire, qui s'étendait ainsi du nord ouest au sud est. Il ne manquait que Narnia et ses îles pour que la puissance de l'Empire soit à son apogée.
J'étais aveuglé par le pouvoir et la puissance. Tellement que je fis vivre un enfer au roi Jace. Je devenais mauvais, influencé par Yoren, et je ne le voyais pas. Je n'étais plus ce jeune homme insouciant et naïf. Enfin...plus ou moins. Non, j'étais toujours naïf, et je ne le compris que bien trop tard. Le mal avait déjà été fait.
Un jour, Yoren m'envoya en tant qu'ambassadeur transmettre un message « amical » aux roi et reines de Narnia. J'allai là-bas, oubliant presque que Crystal s'y trouvait sûrement encore. Je restai quelques jours là-bas, et malgré mon statut d'ennemi, je fis connaissance avec la reine Susan. Celle-ci se révéla être gentille et douce, plus que je ne l'avais imaginé, et me disait être une grande amie de Crystal. C'est alors qu'au cours de la conversation, elle me posa une question qui changea toute l'histoire. La voici : «
Comment avez-vous pu un jour pardonner à Yoren d'avoir fait assassiner votre père, dans l'unique but de prendre sa place sur le trône plus rapidement … ? » Ces mots furent fatals, et tous les doutes que j'avais pu avoir ces dernières années réapparurent. Susan ne mentait pas, je le voyais ; Crystal lui avait donc menti pour monter Yoren contre moi. Puis je réfléchis. Nous allâmes finalement voir Crystal, et avant même qu'elle m'ait adressé un mot, je l'obligeai à me dire la vérité. Une vérité qui fut dure à entendre. Mais je savais que ma sœur ne pouvait pas me mentir comme ça.
Je dus partir quelques jours plus tard, pour ne pas éveiller les soupçons, mais il était clair que je n'avais pas perdu mon temps. Il m'avait fallu une bonne nuit pour tout accepter, pour ne plus douter, pour être sûr, et finalement me résoudre à ce que je devais faire : virer Yoren du trône qu'il ne méritait pas. Avec Crystal, Susan, Edmund et quelques seigneurs Narniens, nous discutâmes et mîmes quelques plans en place. Tout ceci pouvait se finir bien si Yoren n'opposait pas de résistance ; cela risquait aussi de tourner en révolution, en coup d'état, voire en guerre civile si Yoren et ses partisans prenaient les armes pour nous arrêter. Moi qui pensais que les histoires de meurtres dans la famille royale pour prendre le pouvoir n'arriveraient jamais... Il n'était pas rare qu'un fils aîné devienne dangereux pour son père, quand il veut devenir Tisroc, ou que plusieurs fils se battent pour être l'héritier. Mais c'était toujours un choc de le vivre personnellement. Yoren avait tué notre père pour monter sur le trône de Calormen, et à présent, je tentais de prendre sa place. Ce n'était pas étonnant que Calormen soit considéré comme une contrée de barbares après.
Une fois à Tashbaan, j'eus beaucoup de mal à rester calme devant Yoren et pendant les séances du Conseil. Je passai la plupart de mon temps libre à prétexter surveiller l'ouest du pays, mais en réalité, je tentais de relier des tarkaans à ma cause, ainsi que des gens importants. Je possédais de bonnes relations avec cette partie du royaume, et je savais que le peuple me suivrait. Je fis de même avec le sud. Je fis circuler des rumeurs - vraies pour la plupart - pour que le peuple soit au courant de tout. Mais je devais faire attention à ce que Yoren ne découvre rien. J'appris que le roi Edwin partait en voyage, en mer, et qu'il ne pourrait donc pas être là pour protéger son ami et surtout son Empire. Je n'avais plus qu'à attendre un bateau venant du nord, qui s'arrêterait sur le côte, avant de prendre la rivière principale de Calormen. Un bateau où se trouverait ma sœur, des guerriers Narniens pour nous aider et quelques insulaires. C'était le signal.
Je récupérai ma sœur, et ensemble, nous allâmes au palais royal, directement dans la salle du Conseil où se trouvait Yoren. Là, nous lui dîmes tout, en parlant de ce qu'il s'était passé, de la morale, de tous ses tords, de sa barbarie, et posâmes nos conditions. Evidemment, il refusa, ria, puis nous menaça. Il voulut nous jeter en prison. C'est alors que débarquèrent les guerriers Narniens.
Nous pûmes sortir du palais après plusieurs combats et des difficultés, étant considérés comme des rebelles et des ennemis à présent, et finalement, nous quittâmes la ville. L'inévitable devait arriver... Les petites troupes de l'ouest et du sud que j'avais réussi à réunir étaient prêtes, et se trouvaient à un jour de marche de Tashbaan, près d'un champ de bataille célèbre.
Je ne raconterai pas la suite en détail. Oui, Yoren prit les armes, ainsi que ses proches partisans, et ses forces étaient supérieures aux nôtres. Mais nous pûmes gagner lorsque le général en chef de l'armée, le tarkaan Toshkaan, fut blessé, ainsi que mon frère. Profitant de la confusion qui régnait alors dans les rangs, je fis emprisonné les deux hommes, et en retournant à Tashbaan, je fis un nouveau coup d'état ; personne ne put s'y opposer cette fois-ci. Je pris le pouvoir comme je le pouvais, puis terminai la guerre afin d'épargner le plus de personnes possible. Bien qu'une partie du peuple fut toujours du côté de Yoren, la majorité prit mon parti. Je pus donc prendre totalement le pouvoir et devenir Tisroc légalement. Je fis des changements au niveau du Conseil, des tarkaans, et même des esclaves. Je relâchai Riwal après qu'il m'ait juré allégeance, et le fis surveiller. Quant à Yoren, il fut exilé, d'un commun accord, sur une petite île déserte au large de Calormen. Finalement, j'ai rompu l'alliance passée avec le roi Edwin, bien que celui-ci ne soit toujours pas revenu de son voyage en mer, et j'ai fait des traités de paix avec Narnia, Archenland - qui a retrouvé sa liberté - et Térébinthe.
Depuis, je suis donc Tisroc de Calormen, et ma sœur est redevenu tarkheena suprême - et princesse. Les choses semblent enfin être redevenues normales, et tout s'est calmé. Enfin...il n'est pas simple de régner sur un grand Empire tout de même. Je n'avais pas l'éducation et l'expérience pour être Tisroc. Mais Crystal était là pour m'aider.
De plus, je pus enfin être libre sur quelque chose : l'amour. Eh oui, depuis presque un an, il se trouvait que...j'étais amoureux d'une Narnienne, prénommée Melody. Une telle chose parait bizarre, mais c'était le cas. Au début, je n'aurais pas imaginé que ça aurait duré, mais en fait... Lorsque j'avais appris la vérité sur mon frère, je lui avais posé un ultimatum : rester à Narnia, et terminer notre relation, ou venir à Tashbaan, et accepter de m'épouser un jour. Elle finit par prendre la deuxième option. Et aujourd'hui, la voilà au palais. Nous sommes fiancés, bien que la nouvelle ne soit même pas répandue dans la capitale, mais surtout, elle atteint un futur enfant.